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Gloria

Source: Jean 5,44


Voici.
J'apporte ici ma contribution à la construction de cette cathédrale de Gloire. Ni une pierre angulaire, ni une clef de voûte, non, un simple éclat de clarté, une lueur, mais j'ai l'espérance qu'elle ne dépareillera pas l'ensemble de cette extraordinaire construction commencée il y a plus de deux mille ans, car je l'ai polie avec amour et patience, la remettant souvent sur l'ouvrage afin qu'elle atteigne à cette dignité d'être le meilleur de moi-même à l'instant même où l'offrande m'efface.
C'est pourquoi, Seigneur, bien que ce Gloria porte témoignage de ta générosité et de ta bonté aux autres hommes, il est écrit pour toi et pour toi seul et il s'adresse à toi et à toi seul.

Pendant que je m'étais endormi dans les ténèbres, tu as allumé un flambeau et tu m'as guidé dans la nuit afin de me faire comprendre les mystères monstrueux qui s'y dissimulent, les forçant à se dévoiler. Tu m'as fait voir, lové au cœur de ce que je suis, le péché originel qui est de consentir à ce que le mal ait sur soi une emprise. Faute que commet chaque homme, de génération en génération, par intérêt, par négligence, par indifférence. Consentir au mal librement, d'abord en pensée, par petites touches, puis par habitude, puis plus fortement, mais par exception, et enfin, un jour, lorsque les monstres auront tout dévoré, consentir complètement et sans restriction à l'abîme. Désormais, par ta grâce, je connais l'odeur de l'abîme et il a mon odeur d'homme.

Tu m'as fait voir comment mes mains en prière étaient des mains d'assassin. Parce que quiconque n'aime pas son frère, quiconque n'est pas prêt à sauver son bourreau, est déjà un assassin. Qui n'aime pas son frère est un assassin.
Sentir en moi ton regard qui fouille ma conscience et mon cœur, me submerge de honte. Sur le rocher du repentir, là où se tient le pénitent, aucun saint n'aurait la force de se tenir.
Tu m'as fait voir à quel point mes mains étaient couvertes de sang - le mien, le tien, celui de mes frères humains - à quel point mes pensées ont ajouté aux malheurs du monde. Tu m'as fait voir mon âme nue, et j'ai vu qu'elle était en train de devenir celle de ces monstres. Il y a bien longtemps qu'ils ont passé ma porte et sont rentrés chez moi. Ils me convoitent et ma colère nourrit leur avidité, mais, comme la mort, ils ne sont jamais rassasiés.
Pleurs et grincements de dents.

Alors contre eux, je t'ai supplié de livrer pour moi le combat, car j'étais bien trop dominé pour pouvoir les combattre de moi-même. Qui d'autre que toi a réellement le pouvoir de combattre au cœur de l'homme? Toi seul peux encore entrer dans cet éden dévasté.
Tu m'as fait voir que la route qui gravit l'Horeb est droite. Elle ne serpente pas pour en faciliter l'ascension, non, elle est rectiligne du bas en haut, elle est directe et l'on ne peut pas s'y perdre. Et plus important encore: si celui qui gravit la montagne trébuche et tombe, alors il tombe en ligne droite dans un abîme qui est l'inverse et pâle reflet de ce qui l'attend au sommet, car l'abîme réfracte le ciel aussi bien qu'il le réfléchit si peu. Il le détourne comme un voleur. Et il y a un lien direct entre le genre de mal qui l'habite et le genre de sainteté qui l'appelle, entre son ciel et son néant. Ainsi, en chutant, il découvre la promesse qui lui est faite. Et il découvre que tu es l'auteur de cette promesse.

Au fond de cet abîme gisent deux prières, chacune d'entre elles donnée pour morte.
Il y a la prière pour l'offrande d'Abel et celle pour l'offrande de Caïn, toutes deux noyées dans le sang de l'un et la colère de l'autre. C'est pourquoi, l'esprit à genoux, au sommet de ta montagne, je viens t'apporter ma prière pour mes frères, ceux de Garizim et ceux d'Ebal, ceux de la lumière et ceux des ténèbres. Je viens t'apporter mon souffle lorsque tu l'habites, mon espérance lorsque tu y brûles, et mon cœur lorsque ton amour nous y réunit. Tous ces trésors sont les tiens et je les écoute battre en moi afin que tu puisses entendre dans mon âme ceux qui ne te parlent pas. Je suis l'orant de la misère, l'orant de ceux qui souffrent seuls et sans te connaître, l'orant de ceux qui préfèrent l'ignorance, l'orant de la médiocrité, de la faiblesse et de la honte. L'orant des victimes oubliées, de celles que l'injustice va plonger dans la nuit et éloigner de toi. L'orant des morts aussi, de ceux dont le nom a été effacé, mais dont je me souviens.
Et pour tous ceux-ci ma prière consiste à trouver de l'eau. De l'eau d'Esprit que je viens puiser en toi pour que tu la verses en eux. Et plus je prie pour eux, plus je me désaltère en toi. Et c'est ainsi qu'en exultant de joie, je puise les eaux aux sources du salut.
Puisses-tu être loué pour ta générosité, toi qui es l'Amen de tout esprit.
Puisses-tu être loué pour ta bonté, en esprit et en vérité.

Tu m'as fait voir comment ta présence est la source et l'expression de toutes les formes de beauté, comment ta gloire est ce qui resplendit dans la beauté du monde. Et tu m'as fait voir ce qu'était la grandeur de l'âme humaine et pourquoi à cause d'elle seulement, tu nous chérissais plus que tout.
Soleil de l'âme, beauté intensément rayonnante et nourricière.
À l'image du Père, à l'image du Fils et à l'image de l'Esprit Saint.
Tu es le ciel de l'immense et l'exact contraire de l'infini: tu es la plénitude. Prier en ta présence est d'une ivresse indicible.
Ici les âmes sont des sources. Dès qu'elles s'élèvent un peu, leurs eaux coulent dans ton ciel et ce ciel pleut sur toi. Tu es la source des marées de l'âme humaine dont les prières font de l'écume sur tes rivages. Et tu es celui dont l'infinie puissance recule devant les larmes du juste, parce qu'étant en toi et toi en lui, ses larmes coulent sur ta face.

C'est pourquoi, à nouveau, je suis sorti de l'abîme, laissant au-delà du silence les monstres qui s'y étaient endormis. J'étais calme et enfin moi-même, c'est-à-dire identique à ma naissance et avec ta volonté pour guider mon nom. Ta sérénité flottait autour de moi, ta force soutenait mes pas.
Tout en haut, je me suis recueilli et je t'ai attendu, l'esprit tendu vers toi. Alors, doucement, la crainte m'a envahi et, par elle, j'ai su que tu étais là. Car si la peur s'enfuit face une menace, la crainte, elle, s'agenouille devant la majesté.

Pour te prier, j'ai appris à me taire et à ne rien te dire. J'ai appris à sortir les mots hors de ce que je suis et à ne garder dans mon âme que cette faim silencieuse qui crie vers toi. Puis j'ai regardé ceux pour lesquels je suis venu à toi. Je les ai regardés un à un. J'ai assisté impuissant à leurs souffrances, à leurs douleurs, à leurs manques et sur chacun d'eux mon âme a pleuré.
Alors mon eau a coulé dans ton ciel et, aux jours de la sagesse, mes larmes couleront sur ta face.

Ô Seigneur, relève, je te prie, ma peine d'une grâce avant que mon âme ne s'exténue, et daigne verser cette grâce sur ceux pour lesquels mon souffle s'est perdu. Et qu'ainsi ceux que tu sauves puissent resplendir dans ton nom.
Parce que là où est ta maison, là sont le bonheur, la justice et le bien.
Et là où est mon cœur se trouve Jérusalem.